Quoi ? Deux jours d'attente à l'urgence ? Ma migraine qui ne démord pas et j'ai comme une masse près de la bosse des maths qui m'élance depuis deux semaines. Je me suis mis à m'inquiéter quand j'ai commencé à mélanger sulfite et sulfate. Comme les amnésiques sélectifs, j'ai soudainement commencé à escamoter les halogènes du tableau périodique et ensuite les terres rares ont disparu. Les fondements de la chimie s'assoyaient maintenant sur du gruyère. Avant de faire une grave dyslexie protonique due à une masse (atomique), j'ai décidé de consulter, mais j'ai l'impression que l'urgence ne se videra pas avant la fin de l'holocène. J'ai attrapé le mauvais numéro (atomique). L'attente en soi est comme une longue et profonde anesthésie générale après toutes ces heures vissé dans une chaise en plastique. La musique d'ascenseur, LCN en boucle, l'odeur de Purell m'ont fait sombrer.
Un haut le coeur indescriptible m'étouffe. Un vent d'enfer arrache ma casquette du CH et la propulse dans l'abîme sous mes pieds. Une autoroute, des voitures, des cyclistes gros comme des fourmis sous mes espadrilles, oh ma foi je vais vomir de vertige. Je lève les yeux, la croix du Mont-Royal se laisse découvrir derrière le toit de la Place Bonaventure, je suis à mi-hauteur des plus grands édifices de Montréal que je pourrais presque toucher. Stupeur, mains moites, la terreur me fige. Comment ai-je atterri ici ? Je suis à califourchon sur le A de l'enseigne Farine Fives Roses. Surtout ne pas bouger, mais la hauteur et le vent sont trop imposants pour mes nerfs de gypse. Tout se brouille, je ferme les yeux, je vais m'évanouir. Avant que tout s'éteigne, j'entends le jappement aigu d'une volée d'oies sauvages et je me liquéfie dans un songe cycliste. La pointe du A s'est comme adoucie sous mon périnée, mes jambes sont lestées de leur torpeur et je mouline doucement dans le vent évaporé qui est devenu une douce brise. La terreur de la hauteur s'est mutée en mouvement éthéré et voilà que je vogue en roue libre sous les nuages.
Je dérive entre les tours qui enchâssent le canyon des affaires sur René Lévesque et je glisse doucement sur le dôme de Marie-Reine-du-Monde. Atterrissage en douceur sur le plancher des vaches. Émerveillé par ce moment de grâce aérienne, je ne suis pas encore solide sur mes pieds quand je suis terrassé par un troupeau de bovins qui du Square Dorchester remontent Peel vers la montagne. Je roule et virevolte sous les sabots du bétail frénétique. Le galop de ruminants est comme un train de marchandises dans un tonitruant sauve qui peut. La terre tremble sous ce lourd convoi bestial qui me piétine sans ralentir. Le vacarme passé, je suis pigé comme une escalope à l'italienne. J'ai peine à respirer, je parviens à me retourner, gémissant, sur le dos. Un calme profond m'envahit, mon coeur meurtri s'engourdit et à travers les édifices qui forment un rempart dans ma vision périphérique, un grand Boeing bleu de ciel déchire un cumulus. Le temps s'englue dans une seconde peau, ma tête se soude au bitume pour une courte éternité et soudain, je me lève, comme éperonné par un dard invisible.
On m'invective sur le champ: "Circulez !". Un gendarme géant du SPVM me pointe entre les deux yeux un canon de 15 centimètres de diamètre. Si je croise les yeux, je peux voir la pointe de l'obus qui se cache au fond du tuyau de métal gris et huileux. Je recule, mais l'arme fatale avance en phase avec mes pas. Je me retourne et je me lance dans un sprint effréné vers l'est. L'effroi me fait détaler comme Usain Bolt dans un couloir de stade, je cours à m'en fendre les tibias, sans me retourner. Une vibration me fait tressaillir le quadriceps droit. Ai-je été touché par un projectile ? La vibration régulière se répète. Ah, c'est le téléphone ! J'ai manqué l'appel, je ne ralentis pas. Tous les sièges sociaux défilent de chaque côté de mon couloir urbain. J'ai saisi le téléphone et j'écoute le message tout en continuant ma dévalante au delà de Berri. "Vous avez un nouveau message: Je reviens à Montréal, le corps tatoué de visages, des anges dandys au large plumage ont mis en lumière mon passage". B'en là, je ralentis graduellement en entendant cette voix familière, mais à la hauteur de la Maison Radio-Canada, des dizaines de possédés en chandail des Nordiques m'ont aperçu et me lardent le corps de rondelles qu'ils propulsent de leur plus beau lancer frappé. Qu'essé ça ?
Je me protège du mieux que je peux et je tente de reprendre de la vitesse vers le nord pour m'esquiver un peu, mais la rue Panet est toute en montant, ça me ralentit, mais j'en ai monté des pires. Je sais que si je peux passer la rue Sherbrooke indemne, je serai dans le Parc Lafontaine et je pourrai semer mes poursuivants entre les bosquets. Un coup d'oeil furtif derrière, il y a Badaboum qui me rattrape en véhicule tout terrain. Je me sens prêt à abandonner dans la pente qui devient plus abrupte passé Ontario, mais surgissant des rues transversales, je reconnais Toe Blake, Maurice Richard, Dickie Moore et Jacques Plante qui se dressent devant le VTT du bonhomme bleu. Badaboum badaboume dans le décor quand le gardien masqué fait la split juste au bon moment. Maurice me tend un grand flambeau étincelant. Je le prends fermement en croisant le regard irisé du grand héros et me voilà de nouveau propulsé 300 mètres dans les airs. Le flambeau me porte comme une fusée et en toute confiance je me laisse voguer. "We are the champions..." Que vois-je à ma droite, le stade a un nouveau toit refermable gracieuseté d'American Standard.
Le temps s'envenime, l'orage s'approche sur fast-forward, le ciel se déchire dans un grand coup de tonnerre qui referme le couvercle sur la nouvelle lunette du stade. L'éclair trouve sa cible dans le grand flambeau qui me porte, la flamme implose et se transforme en grand parachute bleu blanc rouge et je réussis un atterrissage en douceur sur le Plateau Mont-Royal devant le 6760 St-Vallier. Au lieu des trembles et des frênes habituels, je suis entouré de palmiers qui ploient sous la force de l'orage violent qui fait rage. Je suis trempé jusqu'au os. Je cours instinctivement vers le sud et je me réfugie dans la station de métro Beaubien. J'ai la tête lourde de toutes ces aventures rocambolesques. Malgré la nausée, je m'engouffre dans les tunnels sombres et de plus en plus noirs. Mes oreilles bourdonnent, mon pas se fait plus lent, mes pupilles ne contractent plus, je crois que je vais m'évanouir. Je m'arrête net devant un mur humain. Le Géant Beaupré m'attrape par le fond de culottes et me hisse sur son dos avant que je ne retourne dans les méandres de mon inconscience. Les soubresauts de chaque lourd pas me gardent éveillé. On enjambe le tourniquet et on s'engouffre dans une voiture de métro. Les trois notes retentissent et on décolle. Dans l'ébranlement de la rame, le géant qui au fond n'était qu'un grand squelette se disloque sous mes yeux os par os jusqu'à n'être que le contour disparu de son spectre.
Une minute, une heure, un jour, je perds mes repères. Seuls des ours polaires prennent place sur les bancs, le plancher du wagon est une rivière d'illusions mouvantes, les fenêtres sont autant d'écrans de cinéma. On voit défiler Laura Cadieux, François Delorimier, Jésus de Montréal, Florentine Lacasse dans une fuite époustouflante à 200 km/h qui ne s'arrête à aucune station. Bercé par ce concert d'images du septième art local, mon coeur stoppe net quand je réalise que le bolide bleu a manqué un virage et s'écrase dans un fracas indescriptible dans le béton de son tunnel. Dans le silence assourdissant du bruit infernal de la destruction de ce cadavre métallique, je replace tous mes os dans la bonne séquence et je m'extirpe du monstre en fusion pour chercher une issue. Je suis aspiré dans une chute libre, le tunnel se dérobant sous mes pieds, je vrille en boucle comme un cordon de téléphone emmêlé et je plonge tête première dans une mare visqueuse parfumée de violentes miasmes.
J'émerge du bourbier dans une lumière aveuglante. Comme si mes neurones étaient branchées sur l'Hydro, je comprends ma situation en une fraction de seconde. Je suis dans le fleuve au coeur d'un tourbillon à la sortie d'un trop-plein qui laisse échapper les égouts dans le fleuve lors de fortes pluies. Je suis terrorisé par l'eau, peut-être encore plus que la hauteur, mais la crainte de me noyer surpasse de beaucoup la nausée violente provoquée par les odeurs cataboliques insupportables de cette soupe toxique. Mais tous mes mouvements vers l'abîme sont contrebalancés par une vague de fond d'objets roses qui me tiennent à la surface. J'attrape un échantillon, c'est un dentier. Un deuxième, un troisième. Je suis entouré de dentiers. Des tonnes de dentiers. J'hallucine. Pas de requins, pas les dents de la mer, juste les dents de la merde. J'éclate d'un fou rire hystérique. La tête me tourne, mon cerveau surchauffe de calembours partiels sous le pont. Mon rire résonne en écho, je ne suis plus seul, l'eau bouillonne, je sens une pression sous mes fesses, quelque chose se trame encore. Dans un grand fracas, je suis projeté vers le haut (décidément). Pas pour longtemps, je suis sur la Pitoune de La Ronde. Je monte, je descends, on a saboté le manège. Assis derrière moi, un personnage joufflu en veston-cravate me propose ses grosses lunettes noires. C'est Jean Drapeau qui me propose de voir la vie comme lui. Les lunettes sont énormes, Denis Gagnon peut aller se rhabiller (il a du linge en masse de toute façon). La pitoune me lance une dernière fois et alors que je vais m'écraser sur le sol, Youppi me rattrape comme un boomerang.
La mascotte qui porte une cape, me prend par la main et m'invite à sauter sur ses épaules. Après quelques tentatives infructueuses (je pèse 200 livres quand même), il finit par réussir son décollage au-dessus de la ville. Mes nouvelles lunettes apportent un éclairage nouveau. Des tramways ultra-rapides tapissent la ville, la rue Ste-Catherine est piétonnière sur toute sa longueur, la circulation sur les ponts, les autoroutes est fluide et il n'y a plus aucun cône orange dans la ville. Il y a un cirque en permanence au Parc Olympique qui a retrouvé son architecture initiale. On se dirige vers le sommet du Mont-Royal où une réplique du Parthénon d'Athènes a remplacé le chalet. Franchement. Plus on s'avance vers la montagne, plus la perspective change, on dirait que la ville se dédouble, l'est se reflète sur l'est. On s'approche du Stade Percival Molson et j'ai l'impression que comme Icare, on va se buter sur la trame de nos illusions. À la dernière seconde on se rend bien compte de notre méprise en voyant notre propre reflet dans la grande surface qui s'élevait au dessus du stade. On s'écrase avec grands éclats dans le miroir aux Alouettes. On tombe dans la zone des buts en passant entre les deux poteaux. 3 points.
Plus rien ne me surprendrait. Vais-je recevoir un piano sur le menton, un high-five de PK Subban en tutu, une contravention pour flânage en territoire adverse ? C'est la voix du Docteur Penfield qui me rassure. Ma lobotomie est terminée. L'Institut de Neuro a démêlé mes neurones. Avec son scalpel en main, le médecin a une dernière question avant de refermer mon crâne: "Quelle lettre vient après Q ?"
OK. Wow.. même mes rêves sont rarement aussi confus!
RépondreEffacerJe pense fort à ton frère, j'espère qu'il va bien se rétablir et bien vite.
Quel délire.... Tes références, musique, cinéma, trop plein, etc....trop hot! Que vient faire Queen et le sprinter dans tout cela, tu m'expliqueras Éric...
RépondreEffacerQueen: We are thé Champions est la chanson par excellence pour célébrer un gain de la Coupe Stanley. Le Sprinter, qui d'autre que le coureur d'Ultra qui fuit la mort.
EffacerJ'ai rédigé ce conte un peu tordu en veillant mon grand-frère à l'Institut de Cardiologie. Fraîchement sorti du coma, mais toujours inconscient, je me demandais qu'est-ce qui se passait dans sa tête et j'ai creusé dans la mienne pour brancher des images sans queue ni tête.
RépondreEffacerJ'ignorais qu'il n'avait plus aucune activité cérébrale et que je devrais annoncer le pire à ma mère. Jean-Paul aimait rire et faire de l'esprit, il avait beaucoup d'imagination et je suis convaincu qu'il aurait apprécié ce texte dans toutes ses subtilités.
Eh que je t'aime fort toi....tellement touchant. Un beau grand coeur...xxx
EffacerSi Jeannot aimait les jeux de mots, les pirouettes linguistiques, la douce folie et les subtilités, il aurait été servi! Je suis certaine qu'il aurait adoré! Bravo Éric!
RépondreEffacerMoi je dois relire certains passages pour comprendre et j'adore ta folie passagère. J'ai compris ce matin pour le ultra.Tu vois Rachel, un autre preuve qu'on a pas besoin de drogue pour s'évader.
Nancy
Quoi ? Rachel prend de la drogue ?!?!?
Effacerhahaha non tu m'as bien convaincu que c'était mieux pas :) si j'en ai déjà pris c'est par la fumée secondaire :p de certains de mes voisins...
EffacerAppeler ton frère Jeannot alors que c'est Jean-Paul...tout à fait moi!
RépondreEffacerPardon Cédric!
Nancy
Ne pas s'en faire avec ça..moi c'était mon cousin Jeannot depuis ma tendre enfance...!
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