20 septembre 2014

P pour Parrain


Parrain.  Pas dans le sens de "j'ai reçu un cadeau de mon parrain", mais dans le sens de "faire des affaires croches avec le parrain, ce n'est pas un cadeau".  Je veux parler d'un autre travers des grandes villes qui ne devrait pas t'affecter beaucoup si tu restes dans le droit chemin: le crime organisé.  La pègre, la mafia, les motards et les gangs de rues ne sont pas seulement des plaies de ville, mais disons qu'un milieu urbain comme Montréal, par sa concentration de tentations et de péchés, est un pôle important et central dans les opérations illicites de ses commettants.  Je sens qu'après le N et ce P, tu auras perdu beaucoup de la naïveté qu'il te restait...

Depuis que l'homme a eu l'idée d'inventer des lois, il y a toujours eu des stratagèmes de groupe pour les transgresser.  Dans les livres de capes et d'épées, ce sont des bandes de brigands, des repaires de pirates, de vilains flibustiers.  Les noms ont changé, mais ces guildes de voleurs se sont mutés en groupes de motards, en mafia et en fiers à bras.  Chaque loi qui établi un interdit pour lequel il y aura toujours une demande comme la vente de sexe et de drogue crée un monde parallèle qui organise la vente et la distribution avec un service après-vente inégalé, en autant que le client puisse y mettre le prix.  Les dénominateurs communs: la violence et l'argent.

Montréal est un excellent terreau pour que le crime organisé s'y enracine.  D'abord c'est une ville portuaire qui permet des échanges internationaux rapides et à grande portée.  Montréal est près des grands marchés comme New York et Boston, Chicago, ce qui permet d'écouler beaucoup de marchandises illicites tout en favorisant les connections avec les autres forces occultes du crime. C'est la même logique que les entreprises, l'idée étant de faire de l'argent en répondant à un besoin et l'accès au marché américain est primordial.  À ce chapitre, gros "avantage" pour Montréal d'être près des USA, mais encore mieux: ne pas être aux USA.  Le Canada a un système de justice plus clément que son voisin du sud et une charte des droits et libertés qui est abusée à outrance par les criminels. Je n'irai pas jusqu'à dire que le Canada est la cour de récré du crime organisé, mais disons que quand on attrape les rats, ils ont droit à une excellente défense et des conditions un peu plus décente, et un peu moins dissuasive qu'au sud du 45e parallèle.

Organisé donc et pas mal plus que tu peux te l'imaginer.  Organisé en hiérarchie centrée sur la violence.  L'argent monte vers le haut de la pyramide et pour graduer d'un échelon à l'autre, il faut frapper fort (au sens propre).  Certains groupes de motards exigent au moins un meurtre et autres crimes sordides comme conditions d'entrée.  La sécurité d'emploi dans la hiérarchie est très précaire et basée sur une confiance loin d'être inébranlable et remplie de soupçons et de trahisons.  Pour beaucoup, la cessation d'emploi dans le crime organisé est signée dans le sang.  Contrairement aux entreprises licites où les plus grands risques sont pris à la tête de la compagnie, dans le crime organisé, c'est l'inverse.  Ce sont les hommes de la base qui manient les sacs d'argents, les ballots de drogues, les armes et les coups de poings.  Au sommet de la hiérarchie, la vie de parrain ou de capo n'est pas sans risque, mais disons qu'elle est moins exposée aux aléas de la rue.  Ça fait en sorte que souvent, à l'issue d'une rafle de la police, on saisit de la drogue, de l'argent et des armes, mais on n'attrape qu'un maigre butin de subalternes, ce qui n'égratigne que très superficiellement le coeur du problème et la tête du réseau.

Organisé aussi dans ses interrelations.  Le partage des territoires, les alliances entre groupes, la dotation des recettes sont autant de liens tissés entre les organisations qui sont souvent à la source de trahisons meurtrières.  Comme pour les entreprises légales, les marchés illicites sont interdépendants.  Ainsi, la prostituée qui remet (une grande partie de) ses gains à son proxénète, est souvent prise au piège par ses dettes de drogue auprès de ce même groupe.  Le joueur compulsif à qui on prête des sommes à des taux d'intérets exhorbitants pour jouer dans un casino (souvent illégal), finit lui aussi par développer une autre dépendance (cocaïne ou autre) pour assommer sa détresse.  Ça marche aussi dans l'autre sens où l'héroïnomane qui ne peut plus suffire à sa dépendance se tourne vers la prostitution et se fait "aider" par un proxénète qui se fait un plaisir de le réduire à une forme d'esclavage moderne (dette éternelle).  C'est tout aussi dramatique pour le propriétaire de bar qui doit tolérer d'un côté des vendeurs de drogues qui utilisent son établissement comme base de vente et de l'autre un groupe de fiers à bras qui proposent une taxe de protection pour tenir les vendeurs à l'écart (alors qu'ils sont souvent tous de connivence).  C'est le far west magnifiquement structuré, mais pas plus solide à sa base que le plus nerveux sur sa gachette ou son couteau à cran d'arrêt.

Il y a tout un vocabulaire associé à ce monde occulte.  Voici des exemples qu'on voit dans la rue.

  • Shylock/Usurier: J'te passe 1000$ tout de suite, si tu m'en redonnes 1500$ dans une semaine.  Deux semaines plus tard: OK, j'te prête 2000$, mais je te casse les deux jambes si tu ne me remets pas 3000$ la semaine prochaine.  L'hameçonnage est plus doux au début, mais ça finit toujours mal avec des taux annuels équivalents à 75-100% et +.  Victimes typiques: Les pauvres et surtout les joueurs compulsifs.
  • Pimp/Proxénète: J't'achète pleins de beaux cadeaux, je te prête full de cash et je prends soin de toi pendant deux semaines, ensuite tu dois coucher avec trois de mes chums.  J'te filme, je te traite de pute, je te menace, je te mets des baffes, tu dois te droguer pour endurer ça, tu deviens accroc et tu repayes tes dettes en faisant des passes. Victimes typiques: Filles abandonnées, fugueuses, décrocheuses.
  • Pusher/Vendeur de dope: Du fabricant au vendeur, il y a tout un arbre de distribution et de trafic.  On cherche des gens pour transporter des chargements entre pays, des gens pour écouler la marchandise et trouver de nouveaux clients (comme autour des écoles) et aussi des chimistes en herbe qui synthétisent des drogues souvent instables et plus toxiques que le produit original.
  • Blanchisseur: Commerce de façade pour blanchir l'argent du crime.  Typiquement, une pizzeria, un prêteur sur gages ou un bureau de change.  Les clients payent en argent propre des services et produits issus de l'argent sale.  Quand la pizzeria du coin a encore changé de nom suite à une autre incendie, c'est souvent un bon indice.

Il y a beaucoup plus qui se passe derrière le rideau.  Des magouilles qui ont touché le monde de la construction et le financement des partis politiques font l'objet d'une commission d'enquête actuellement.  Les activités autour de la drogue et autres trucs en marge de la légalité sont inquiétants, mais jamais autant que l'infiltration de ces groupes dans l'économie légitime et nos institutions.  On dirait que là où il y a de l'argent, il y a toujours des vautours sans vergogne pour s'approprier une part du magot.  C'est triste...



Pour la drogue, je suis de ceux qui pensent qu'on met beaucoup trop de ressources pour tenter d'endiguer la contrebande. Tant qu'il y aura une demande pour des produits et services, les prohiber sera toujours contreproductif.  Les efforts aux frontières ont stimulé la fabrication de drogues synthétiques qui permettent de créer le produit de façon domestique.  Ces produits sont très souvent dangereux/mortels dans leurs premières versions et ont déjà fait des morts au Canada.  Que faire ?  Le débat serait beaucoup trop long pour ce blogue, mais je pense que de libéraliser les drogues douces tout en transférant toutes les dépenses reliées à l'infiltration et la répression des drogues dures dans des investissements en prévention et en traitements, je pense qu'on serait gagnant au change comme société.  Surtout si on prend des mesures sévères pour les récidivistes, car l'utilisateur de drogues dures est dangereux pour lui-même, soit, mais après avoir fait tous les efforts possibles pour l'aider et le réhabiliter, au final, on doit protéger la société et éliminer le risque.  Une loi des trois prises comme au baseball.  Cruel tu diras, mais on ferait s'écrouler le marché, on aurait une société plus sécuritaire et surtout on s'occuperait vraiment de ceux qui veulent s'en sortir.  Ici encore, il y a plusieurs pays où je serais emprisonné juste pour avoir osé écrire ça.

Au fond, j'ai l'air de traiter froidement de la toxicomanie avec mes solutions pragmatiques d'économiste technocrate, bien au contraire.  Je pense que les toxicomanes à la base ont juste besoin d'amour et de passion.  Amour et passion qui commencent par soi-même.  Quand un humain s'injecte de la joie en seringue, il s'enfuit dans un monde dans lequel il n'est pas, alors que le vrai bon trip, c'est de vivre sa passion en toute lucidité.  Pour vivre amour et passion, il faut d'abord s'aimer.  Manque d'amour propre, aveuglement de la quête du matériel, désoeuvrement, quel que soit la cause, le toxicomane est enfermé dans une cage de laquelle il a perdu la clé.  Tu le sais comme moi, mon ecstasy, il est dans mes espadrilles, il y a du cristal meth dans mes pédales, un peu de mari dans les touches du clavier qui rédigent ce blogue et il y a un peu d'opium qui ronfle (si peu) sur l'oreiller d'à côté.  Ton cap d'acide, il attend juste d'éclater sous le ruban gommé de ton bâton le bon soir que tu vas recevoir la passe parfaite pendant que tu dérives en zone adverse le long du cercle de mise au jeu et que ton one-timer va faire vibrer les cordages derrière la gardienne en prolongation. Juste faire tous les efforts et l'entraînement nécessaires à la quête de ce moment produit un buzz qui vaut bien des seringues remplies de fuite en avant.

Un P glauque et underground.  Mais que ferons-nous du Q ?

3 commentaires:

  1. Belle dose de bonheur de te voir pour la première fois Rachel, jouer avec ta nouvelle équipe de hockey!
    Quand vous êtes heureux Rose, Léo, Dédé, Julien et toi; moi je flotte!
    Nancy

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  2. Ben voyons! Voir que tu réussis a terminé un texte sur un sujet aussi triste que la drogue de manière aussi positive. Sincèrement, je n'ai pas d'expérience dans la drogue, mais je pense qu'il faudrait une méchante dose pour égaler les émotions que tu as décris plus haut... et ce "beau moment", le consommateur le vit seul :(
    J'aurais aimé ça vous scorer un but hier, vivre mon premier but collégial avec mes meilleurs partisans!!! Qu'on se partage un peu d'ecstasy ;)

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    1. Tu as beaucoup de temps devant toi. Les vrais partisans voient beaucoup plus que les buts... Ils voient aussi les objectifs.

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