09 septembre 2014

K pour Koivu

Koivu. Certains trouveront le procédé un peu facile comme prétexte pour parler de hockey, mais je ne pense pas que Kordic, Kovalev, Kostopoulos, Komisarek, Kostitsyn ou une tricherie comme p.K. aurait fait l'affaire. J'ai choisi Koivu, car selon moi, c'est lui qui a vraiment consacré le Centre Bell et tiré un trait sur l'époque glorieuse du Forum.

Le 9 avril 2002, Saku Koivu, le capitaine des Canadiens revient au jeu après avoir manqué toute la saison pour combattre le cancer.  On lui réserve une ovation de 9 minutes à son arrivée sur la glace.  Montréal confirmera sa présence en séries ce soir là en battant les Sénateurs et éliminera les Bruins en première ronde.  Même ma mère, qui ne regarde jamais le hockey s'en souvient.


Avant ce moment de grande émotion, le nouvel aréna du grand-club depuis 1996 (qui s'appelait encore le Centre Molson), semblait trop grand, trop neuf et dénué du charme du vieux Forum, coin Atwater et Ste-Catherine. On a eu beau mobiliser les légendes avec des cérémonies au flambeau, en quittant le temple légendaire, une certaine magie propre à l'organisation semblait s'être évaporée. La Sainte-Flanelle avait un peu perdu de son odeur de sainteté. Il faut dire que le club traversait aussi une période que plusieurs voudrait rayer du grand-livre sacré: le règne de Réjean Houle et Mario Tremblay, les saisons dans la cave du classement.

Le Forum de la rue Atwater, construit en 1924, fût le domicile des Canadiens à partir de 1926. Cet endroit, devenu un espèce de truc commercial sans âme au nom horrible (Forum Pepsi), aurait mérité de rester intact et devenir un grand musée comme on préserve les pyramides d'Égypte et les ruines romaines. L'équipe qui a occupé ces lieux y a rapporté 22 de ses 24 Coupes Stanley.


L'endroit montrait certes des signes de fatigue sur la fin. Le système de réfrigération de la patinoire donnait du fil à retordre aux techniciens, les joueurs étaient à l'étroit dans des vestiaires vétustes, le nombre de sièges et de loges limitaient les revenus, mais pour l'amateur qui y trouvait une place, ces considérations étaient plus que secondaires. Pour un vrai partisan, s'asseoir dans le forum sous les bannières, c'était comme être à La Mecque pour un musulman.  Au Forum, il y avait toujours une partie derrière la partie. La glace était habitée par les fantômes du CH qui tournoyaient derrière les joueurs en chair et en os. De temps en temps, c'est le fantôme de Jacques Plante qui déviait le lancer pourtant précis de Raymond Bourque à l'extérieur du filet ou bien c'est Feu Howie Morenz qui retenait juste assez Wayne Gretzky dans sa montée pour qu'il soit devancé par Jari Kurri à la ligne bleue.  Le soir de mai 1979 en demi-finale quand les Bruins ont été puni pour trop d'hommes sur la patinoire, Don Cherry pourrait jurer avoir vu le spectre de Maurice Richard distraire l'ailier qui a tardé à revenir au banc avec moins de 2 minutes à faire en 3e.  Montréal égalisera sur un but de Lafleur sur cet avantage-numérique et gagnera en prolongation sur un but d'Yvon Lambert avec l'aide de Bernard Geoffrion (Mario Tremblay n'ayant pas pu faire cette passe parfaite sans un peu d'aide des fantômes).

Mes souvenirs personnels du Forum sont inoubliables. Heureusement, car Monia a jeté mes photos de la Coupe Stanley de 1993 aux vidanges. Alors, tu dois me croire sur parole quand j'te dis que j'ai respiré le même air que Guy Carbonneau le soir où il a levé la Coupe pour la dernière fois dans le temple.  J'ai encore un petit frisson en pensant aux derniers cinq minutes de la 3e, debout au dernier niveau, participant avec mes cris et mes mains aux vibrantes acclamations de joie. Des casseurs ont ensuite gâché le party à l'extérieur en saccageant la rue Ste-Catherine sur presque toute sa longueur.  Mes amis Marc Hébert et Eric Ouellet étaient venus me rejoindre et m'avaient trouvé à la sortie du Forum, un exploit dans tout ce brouhaha.  Le 95% de joyeux partisans se mêlant au 5% de casseurs donnait une drôle d'atmosphère. On est reparti chez-nous après une charge de la police qui tentait de séparer la foule. Jamais eu aussi peur que quand j'ai eu l'impression que la foule allait me piétiner si je ne trouvais pas une issue dans une rue de travers.


Je dois confesser que j'ai parfois fait l'école buissonnière pour assister à des matchs au Forum. C'était en tant qu'étudiant à temps partiel après mon entrée sur le marché du travail. En partance de Bromont après la journée de travail, j'écoutais l'avant-match à la radio en direction de Polytechnique ou des HEC et il est parfois arrivé que la voiture prenne la sortie Atwater un peu malgré moi. Je scalpais un billet et je passais la soirée sur un banc du temple au lieu d'un banc d'école. Une fois en particulier, les Pingouins et Mario Lemieux étaient en ville et je m'étais promis de résister à la tentation et d'aller à mon cours. J'arrête pour faire le plein et pendant que je paye, le caissier m'offre son billet d'hockey, car il vient d'apprendre qu'il doit travailler le reste de la soirée. Je refuse. Je reviens dans ma voiture, je démarre, je fais le tour des pompes, et puis merde alors, je succombe et retourne à l'intérieur pour acheter le billet.  J'ai tout de même obtenu mon diplôme de 2e cycle en Administration, malgré ces quelques cours escamotés.

Depuis la guérison de Saku, je pense que le Centre Bell a toujours été à guichet fermé. Quelques retraits de chandail, une remontée de 0-5 contre les Rangers, quelques séries d'anthologie contre les Bruins, le brio de Jésus Price et la fougue de PK ont peut-être ensorcelé l'amphithéâtre et convaincu quelques fantômes d'élire domicile de façon permanente entre deux pubs de pain Pom.


Avec ses victoires, défaites, remontées, retours de blessures, revirements inattendus spectaculaires, la chance qui tourne, les décisions justes et injustes, les douces vengeances, l'esprit d'équipe, le respect de l'adversaire et la hargne dans l'adversité, le sport collectif est un irrésistible microcosme de la vie et c'est pourquoi on paie cher pour assister au spectacle.  Ces grandes émotions, toi, tu te prépares à les vivre de l'intérieur, sur la glace, dans le feu de l'action.  Tu vas construire ton propre corpus de légendes personnelles.  Et rassure-toi, les fantômes ça n'existe pas...

Voici un K réglé.  À la prochaine lettre on se donne des L.



1 commentaire:

  1. Je ne sais pas pourquoi je n'avais pas encore commenté ce texte-là?! Il est tellement beau! J'en ai des frissons tellement tu décris bien l'attrait irrésistible du hockey!

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