19 mars 2015

Z pour Zee End

Z pour Zee End.  Comme la jeunesse, tout à une fin, même l'alphabet. Aujourd'hui, jour de tes 18 ans, tu quittes l'enfance définitivement (au sens québécois) et j'en profite pour mettre une dernière main sur cet abécédaire épistolaire urbain. J'ose croire que tu y as appris des choses intéressantes et que tu te sens plus à l'aise dans la grande ville après quelques mois à y résider.

Je comprends que jusqu'à date, tu as surtout orbité autour du Cégep, la résidence étudiante et les arénas. Je t'imaginais voguer plus souvent à la découverte de nouveaux lieux, mais je réalise que dans les derniers mois, tes temps libres baignent surtout dans des odeurs de vestiaire quand ils ne portent pas la fragrance minérale du crayon qui glisse sur le papier mat des cahiers scolaires. Pour le reste, l'autobus Limocar est un peu devenu ta navette spatiale pour les retours fréquents à la base familiale. Tout ça témoigne de ta détermination à atteindre tes objectifs, mais aussi que tu as vite compris qu'on peut très bien faire son nid ailleurs tout en demeurant en symbiose avec son noyau familial. Surtout quand on peut ramener son sac de lessive et repartir avec un sac d'épicerie. Ça, je l'avais prescrit dès la lettre A. Tu apprends vite.

J'avais visualisé la grande joie qui m'habite dans tout projet d'écriture, mais je n'avais pas cru en apprendre autant et surtout m'aventurer dans autant de zones marginales en écrivant à ma nièce. En opposition à des A, B, C, D assez inoffensifs, on a eu des G, I, P et X plutôt osés.  Je sais que tu as particulièrement apprécié les thèmes qui te touchent de plus près comme le C, le K, le L, le O ou le U, mais que les sujets aient été ou non dans ton cercle d'intérêt, j'ai toujours senti une véritable écoute vis à vis celui qui essaie de toutes ses forces d'être un mentor utile, ressourçant, en se permettant parfois d'être un brin impertinent.

J'ai longtemps pensé à associer une chanson comme trame sonore à cette dernière missive. J'avais d'abord pensé à la très populaire Deux par Deux Rassemblés de Pierre Lapointe. Cet hymne à la vie frappe dans le mille pour ce qu'on aimerait dire à une fille (femme) de 18 ans pleine de talent qui a toute la vie devant elle: "Ce n'est sûrement pas de briller qui nous empêchera de tomber.  Ce n'est sûrement pas de tomber qui nous empêchera de rêver".  C'est quelque chose que j'aurais aimé écrire.

J'ai penché aussi pour la suite Golden Slumbers-Carry That Weight-The End qui est très à propos. Cette triade de pièces qui conclut Abbey Road, le dernier album des Beatles, est surtout une complainte de Paul qui se désole de la dislocation nécessaire du groupe. Cependant, dans sa maturité créatrice, il a réussi quand même à raffiner suffisamment le texte pour qu'on puisse y trouver en quelques minutes le cycle complet de la vie. Commençant par une tendre ballade qui promet la berceuse qui réconforte la fillette avant son sommeil: "Sleep pretty darling, do not cry and I will sing a lullaby", le quatuor enchaîne avec un chant tonitruant presque militaire qui annonce le tumulte d'une vie adulte faite de grandes attentes souvent déçues: "You're gonna carry that weight a long time... in the middle of the celebration I break down". The End, la pièce finale, en plus de nous donner une des plus mémorables leçon de guitare électrique de tous les temps et le seul solo de batterie enregistré par les Beatles, nous laisse avec cette phrase simple, mais monumentale: "And in the end, the love you take is equal to the love you make" -> "Au final, l'amour que tu reçois équivaut à l'amour que tu donnes".  C'est presque la loi de conservation de la chimie appliquée à notre façon de se traiter soi-même, de s'impliquer dans nos projets et surtout de transiger avec les autres. L'autre chose à comprendre, c'est que ça finit par finir, ça peut durer à peu près 100 ans et qu'on a juste une chance de bien faire. Il faut donc cultiver ses passions, ne gaspiller aucun rêve, connecter le mieux possible avec nos congénères et garder les deux pieds sur terre.

Mais malgré la place de choix qu'ils occupent dans mes préférences musicales, je n'ai pas choisi les Beatles pour bercer la clôture de cette série de lettres. J'ai plutôt pigé dans le répertoire d'une autre bibite célèbre, Bob Dylan. La chanson que j'ai choisie en est une de rupture amoureuse, mais ça n'a aucune importance, car ce vieux routier du folk a toujours dit de ceux qui cherchaient des significations profondes et précises à ses textes perdaient un peu leur temps, car en bon poète, il choisit les mots et les rimes juste en fonction de la beauté qu'il perçoit et comme pour la peinture, c'est à chacun son interprétation. La chanson est You're a Big Girl Now. (T'es une grande fille maintenant).

Je suis peut-être un sentimental fini, mais le thème de cette chanson triste vient me prendre à la gorge à chaque fois. Je déplace immanquablement le propos du texte vers ma nostalgie de la jeunesse qui s'évapore (Time is a jet plane, it moves too fast). Je ne me suis pas reproduit, mais la chance que j'ai d'avoir vu grandir de près mes neveux et nièces m'a transformé au point où l’occurrence de leur départ du noyau familial m'angoisse silencieusement. Chaque fois que j'entends ce râle de douleur après la première mesure de chaque couplet, je ne peux m'empêcher de faire fast-forward vers le vide de votre absence après qu'un à un, vous vous serez affranchis de nos ficelles pour faire votre vie. C'est comme une mini-rupture chaque fois, dans l'ordre des choses certes, mais ça me pince le coeur de l'envisager (like a corkscrew to my heart).

Mais voilà, je dois cesser de me désoler sur le chemin solitaire de la vieillesse qui nous guette. Mets le son dans le tapis et la vidéo plein écran...

18 ans, ce n'est pas une fin, c'est un commencement. Tu es une grande fille maintenant, you made it there somehow, you're a big girl now, you're a big girl all the way...




05 mars 2015

Y pour YUL


Y pour YUL.  Tu pensais que j'avais touché le fond avec XXX, mais contrairement à ce que tu crois, je n'ai pas choisi le prénom de l'acteur Yul Brynner ou les trois premières lettres de mon mot de passe, mais bien un code qui a une grande signification pour la ville. C'est le code de l'aéroport Montréal-Trudeau (Dorval). Tous les aéroports du monde ont un code à trois lettres assignées par l'IATA et à Montréal (Dorval), c'est YUL.

Si les grands penseurs avaient vu juste il y a 46 ans, on parlerait plutôt de YMX (Mirabel), mais l'histoire en a décidé autrement. En 1969, le gouvernement fédéral mettait la main sur 100 000 acres de terre, conduisant à l'expropriation de milliers de personnes et de terres agricoles dans le but de développer ce qui était pour devenir l'aéroport principal de Montréal. Le gouvernement de Pierre-Elliott Trudeau promettait alors un achalandage monstre pour l'avenir, prévoyant des dizaines de millions de passagers. Il fallait donc beaucoup de terrain pour une expansion à la hauteur de ces grandes ambitions. Si le plan avait été accompli au complet, YMX serait devenu le plus grand aéroport du monde (pour l'époque). Des municipalités comme Ste-Scholastique et St-Janvier en sont disparues de la carte et des milliers de résidents n'ont jamais digéré perdre leur patelin et leur propriété. On aurait probablement oublié l'affront si tout ça s'était vraiment réalisé, mais le projet n'a jamais dépassé la phase 1 et Dorval est demeuré l'aéroport no 1 jusqu'à aujourd'hui. Le terminal aérogare de Mirabel a même récemment été détruit et l'aéroport ne sert maintenant que pour les marchandises et les vols d'essai. Quel fiasco et surtout quel affront aux expropriés de voir qu'on a en plus honoré Trudeau en rebaptisant l'aéroport de Dorval à son nom...


D'aucuns diront que c'est facile à dire 46 ans après et que la vision aurait peut-être pu se réaliser. En effet, en 1969, Montréal était encore la métropole du Canada, on venait de s'ouvrir sur le monde avec Expo 67 et la ville avait obtenu la tenue des Jeux Olympiques de 76. Cependant, la crise d'octobre 70, la montée du nationalisme et l'élection du Parti Québécois en 1976 a graduellement favorisé (pour les mauvaises raisons) Toronto comme place d'affaires et nombre de sièges sociaux se sont déplacés autour du domicile des Maple Leafs. Montréal s'est révélé dans les années 80 une grande métropole culturelle, mais T.O est depuis la capitale économique du pays. Et qui dit capitale économique dit plaque tournante du trafic aérien. C'est ainsi que la plupart des vols internationaux sans escale se font presque tous de Toronto au détriment de Dorval qui fait tout de même transiter plus de 14 millions de passagers chaque année. Au final, je pense que Mirabel était tout de même un mauvais choix, loin du centre-ville, alors qu'on avait déjà un site comme Dorval directement sur l'île.

Tout ça pour dire que si un jour tu te retrouves outre-mer ou outre-frontière avec ta poche de hockey ou ton pack-sac, c'est le YUL sur ton étiquette de bagage qui pointera tes valises dans notre direction pour le chemin du retour, en espérant que c'est écrit la même chose sur ton billet passager, car on voudrait que tu reviennes en même temps que tes fringues. On t'aime bien mais de là à faire ton lavage avant ton arrivée, y a toujours b'en des limites.

Malgré que c'est toujours agréable de voir de nouveaux pays et de nouvelles cultures, à chaque fois que je voyage pour une période la moindrement longue, c'est toujours avec une petite émotion que je contemple le YUL qui identifie la destination finale de ma valise quand je m'enregistre sur les vols du retour à la maison. C'est beau voyager, mais ça fait aussi doublement apprécier le confort de notre chez-nous et la chaleur de la famille et des amis, qui dans notre cas gravitent pour la plupart autour de YUL.


Je dois bien avoir une cinquantaine de codes à trois lettres dans notre collection de souvenirs. Bien que ça peut être vraiment désagréable de se faire "barouetter" comme du bétail à l'embarquement, c'est toujours excitant d'atterrir dans une nouvelle destination. L'arrivée dans le noir à JRO est mémorable et un peu terrifiant. Le souvenir du vent qui secoue l'appareil de 19 passagers à LPZ mouille encore mes paumes. Chaque passage à CDG nous rappelle l'endroit où on a appris la naissance de Julien.

Je souhaite ardemment que tu puisses un jour poser tes valises à BUD pour son charme suranné, à BCN pour son insatiable vie nocturne, à EZE pour son exubérance désinvolte, à SGN qui se croque comme un fruit tropical ou à PRG pour son seul Pont Charles et peut-être ses équipes de la KHL. Je te souhaite sincèrement que tu puisses un jour descendre à LHR ou CDG pour autre chose qu'une triste escale et que tu puisses découvrir ces cités éternelles mieux que nous. Monia et moi n'avons encore jamais pris le temps d'explorer ces centres historiques de l'univers. (Tu peux t'imaginer combien je me délecte de jouer à te faire deviner et chercher ce qui se cache derrière tous ces codes).

Avant que tu entreprennes une carrière de globe-trotteuse, je pense que dans un futur proche, il n'est pas impossible que tu trouves JFK, BOS, YYZ ou même LAX pour accompagner le YUL sur ton équipement. Un tournoi à LAX, c'est peut-être un peu "long shot", mais avec Gary Bettman qui insiste pour avoir du hockey à LAS avant YQB, je ne verrais pas d'un mauvais oeil qu'une équipe féminine de chez-nous aille donner des leçons de hockey à des bimbos californiennes. Il est permis de fabuler. Et tant qu'à rêver, tu peux même oser espérer coller une étiquette à bagages YUL-YNY en 2018 sur ta poche de hockey. Bon, il y aura sûrement une bonne tapisserie d'étiquettes pour faire la route entre YUL et YNY, mais c'est la destination qui compte (qui compte, la pognes-tu ?).  Ce qui me fait peur avec cette éventualité, c'est que Léo m'a déjà demandé si j'allais payer son billet le cas échéant. L'histoire ne dit pas si c'est le billet d'avion ou le billet pour la patinoire...  Mais j'imagine bien que si c'est pour arriver, tu ne seras pas la seule dans la famille à pouvoir dire que tu as atterri à l'aéroport de Yangyang...